Avant toute chose : cet article s’adresse aux personnes en situation de handicap qui ne peuvent physiquement pas assurer une cadence de production classique. Il concerne les créatrices dont la capacité de travail est réduite à cause de douleurs chroniques, fatigue, soins ou autres contraintes de santé.
Si ce n’est pas ton cas — si tu peux travailler presque tous les jours, même lentement — alors tu dois intégrer toutes tes heures dans le calcul de ton prix de vente : production, gestion, communication, livraisons, etc.
Et si le tarif final est trop élevé pour ton marché :
- Tu peux chercher des astuces de production pour réduire le temps de travail,
- Ou tu laisses tomber ce produit : il ne trouvera probablement pas chaussure à son pied.
Tu n’as pas besoin de vivre de ton activité pour bien fixer tes prix
Beaucoup de créateur·rices en situation de handicap perçoivent l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés). Cela limite ou conditionne les revenus générés par une activité artisanale.
Mais cela ne justifie en aucun cas de brader tes créations.
Même si tu ne vis pas entièrement de ton activité, tu dois fixer un prix de vente professionnel :
- pour valoriser ton travail,
- ne pas créer de concurrence déloyale,
- et te respecter en tant que professionnel·le.
Ton prix ne dépend pas du temps que tu mets
Tu peux mettre 2, 3 ou 5 fois plus de temps qu’un·e artisan·e valide pour fabriquer une pièce. Cela ne veut pas dire que ton travail vaut plus ou moins.
Tu ne vends pas un temps, tu vends un objet fini, une compétence, une démarche.
Utilise un temps de fabrication référent
Il s’agit du temps moyen qu’un artisan professionnel en bonne santé mettrait pour fabriquer ce type de produit.
Ce temps de référence sert de base pour fixer ton prix de vente, même si tu mets plus de temps :
- Il te permet de ne pas fixer un tarif irréaliste,
- Il reste cohérent avec le marché de la création artisanale,
- Et il t’évite de te sous-évaluer en te basant sur ta fatigue.
Exemple : Tu mets 3h à faire une trousse. Un artisan similaire met 1h15. Tu bases ton tarif sur 1h15.
Comment estimer ce temps référent ?
- Regarde les vidéos ou tutoriels d’autres créateurs similaires,
- Demande dans les groupes pros, forums ou réseaux d’artisan·es,
- Choisis une moyenne raisonnable et réaliste (ni ultra optimisée, ni ralentie).
Ce que ton prix inclut vraiment :
- Ton savoir-faire unique
- Les tests, prototypes, ajustements
- Le coût des matières premières, même achetées en petites quantités
- Le temps de gestion, communication, emballage, SAV
- Et surtout, le respect de ton corps et de ton rythme
Mon expérience personnelle
Je connais très bien cette situation, parce que je la vis moi-même.
Je suis atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie invisible mais très invalidante, qui, peu à peu, m’a enlevé mon métier de créatrice tel que je le pratiquais.
Aujourd’hui, quand je crée, je ne regarde plus le chronomètre.
Je me base sur mes temps de fabrication “d’avant” — je sais combien de temps il faut pour réaliser telle couture, tel article, dans des conditions normales, sans contrainte physique.
C’est sur cette base que je calcule mes prix : je prends le temps qu’une personne sans invalidité mettrait à fabriquer l’objet.
Cela me permet de rester dans une grille tarifaire cohérente, sans créer de concurrence déloyale envers mes confrères et consœurs.
Comme toute personne en situation de handicap, je sais que je suis « payée différemment » : pas parce que mon travail vaut moins, mais parce que je mets plus de temps, plus d’énergie, plus de stratégie pour le réaliser.
Mais cette réalité ne doit pas impacter le client final, ni se traduire par un prix exagérément élevé ou une qualité réduite.
Le handicap peut jouer sur le temps,
mais il ne doit jamais jouer sur la qualité du travail fourni.
Nous ne faisons pas du loisir que l’on vend.
Nous sommes des professionnels du fait-main, avec toute la rigueur, l’exigence et la valeur que cela implique.
Ne cherche pas à faire une « marge classique » : vise une juste rémunération
Une entreprise classique ajoute une marge pour couvrir les charges et générer du bénéfice. Mais quand ta capacité de production est réduite, tu ne peux pas compter sur le volume pour équilibrer.
Ton prix doit intégrer une rémunération suffisante pour quelques pièces par mois.
Tu es dans une logique de viabilité personnelle :
Ton tarif doit compenser le fait que tu travailles moins, mais que chaque pièce te coûte plus en énergie, en temps, en organisation.
Ce n’est pas une marge “de luxe”. C’est ta condition de survie entrepreneuriale.
Attention à la fausse modestie : ton travail vaut le prix juste
Beaucoup de créateurs en situation de handicap tombent dans la tentation de “ne pas faire payer cher” :
- “C’est juste pour le plaisir”
- “Je fais ça à côté de l’AAH”
- “Je ne suis pas une vraie pro”
Mais ton travail est réel, professionnel, et légitime. Il mérite d’être vendu à son juste prix.
Te sous-payer ne rend service à personne, ni à toi, ni aux autres artisans.
En résumé
Tu n’as pas à t’adapter à des modèles standards.
Ton activité doit s’adapter à ta réalité, et non l’inverse.
Avec une production limitée, tu peux tout à fait fixer des prix justes, respectueux de ta santé, de ton travail et du marché.
Créer à ton rythme, c’est aussi créer avec lucidité, exigence et puissance.